dimanche 15 juillet 2012

Jazz à Vienne c'est fini !

... pour cette année !
AVISHAI COHEN

Une édition très grand cru, où votre chroniqueur préféré a eu la chance d'assister à de grands moments.
Retrouvez ici tous les concerts couverts par Comment ça jazz?


Ce  vécu de festival est vivant grâce aux photographies de Marion TISSERAND et de Paul-Emmanuel ROY

Quand la Nouvelle Orléans décalamine Vienne


Trombone Shorty 







Il faudra prévoir un jumelage entre ces deux villes si ce n’est déjà fait. Chaque venue à Vienne de Trombone Shorty, natif de New-Orleans, provoque en effet une tempête, sans jeu de mot de mauvais goût. Nous les avions vu l’an dernier réveiller le théâtre antique malgré l’heure avancée de la All-night jazz. Ils n’ont pas démenti cette fougue cette année.

Une de leur caractéristique est de démarrer fort, très fort, tout de suite. Cette fois-ci, c’est carrément sur un son rock presque métal que débute le set. Très vite les sonorités typiques du groupe, cuivrées new-orleans, font leur apparition, comme le désormais emblématique « Hurricane Season », issu de leur précédent album, « Backatown ». C’est dorénavant le répertoire de leur dernier album, « For True », qui nourrit la tournée. Après des débuts à bonne école aux côtés de Lenny Kravitz, Troy Andrew va intégrer ses racines orléanaises aux sonorités actuelles funk, soul, rock. Il va élaborer progressivement la recette de ce cocktail explosif qu’il propose aujourd’hui.

La virtuosité instrumentale est acquise aux Trombone Shorty, comme le prouve ce clin d’œil de fin de concert où chaque musicien prend la place de son voisin et joue d’un instrument radicalement différent. Shorty prendra ainsi la batterie, et la formation belottée interprètera un morceau avec la même tenue musicale ! Mais ce qui frappe quand on voit ce groupe sur scène, c’est la puissance et l’énergie qu’il dégage spontanément. Sans avoir à aller chercher le public, une ambiance explosive s’installe dans les gradins. 8000 personnes de 7 à 77 ans debout clapent le rythme, dansent et se déhanchent.

Afin de vous faire vivre au plus près le concert d’hier soir, nous allons tenter une expérience unique dans les annales de la chronique. Voici les notes brutes prises en live pendant le concert, sans corrections stylistiques, comme un thermomètre émotionnel, à seule fin de vous faire revivre la montée progressive de l’excitation et l’irrépressible envie de danser, qui a saisi jusqu’aux bebopers les plus endurcis.
« Connaissez-vous la dynamite ? Moi non plus. Allez à un concert des TS et vous expérimenterez la déflagration TS. Ils ont une belle occupation de scène. Début rock. Reviennent à cette puissance New Orleans.Troy nous refait son interminable soufflé au trombone, deux minutes et quinze secondes, record battu ! Une violence adolescente en eux. Du Rock ou du Jazz ? Ils sont en train de communiquer une excitation, une émulation collective. Au plus calme c’est un son type Lenny Kravitz grand cru. Au plus énervé la vitalité de la Mano Negra. Batterie précise et indomptable. Sonne comme AC/DC ! Ça met une folie dans le théâtre ! Troy nous fait une choré à la James Brown. Il en a le charisme et l’impulsivité. On évacue une jeune fille qui prend un malaise ! C’est sûr que c’est du brutal. J’ai connu un chanteur de la star-ac qui en écoutait au petit déjeuner mais faut reconnaître que c’est plutôt un son d’homme. Blues Brothers pour leur capacité à faire chanter le public. Galvanisé par les clameurs des 8000 personnes Troy bombe le torse, solaire, il renvoie toute la puissance que lui projettent les spectateurs. Comment un être humain peut-il être traversé d’une telle force et rester debout ? Il y a forcément du divin dans les artistes. TRIOMPHAL. L’exclamation de mon voisin résume tout : « pas connus mais très bons !! ». Et dans un dernier cri comme un orgasme « Ahh oui ! » »

Ite missa est.





Willy J

Théâtre Antique de Vienne
Jeudi 12 juillet 2012

Billy and Kirk playing

Stéphane Belmondo Quartet




          Cette première partie de soirée à Vienne confirmait les intentions du festival de promouvoir une scène française à potentiel. Le Belmondo quartet est en effet connu des amateurs de jazz, mais sa venue en première partie de Mélodie Gardot  devant un théâtre antique plein à craquer - soit près de 8000 personnes – est un formidable démultiplicateur de notoriété. Le Belmondo côté Stéphane joue de la trompette et surtout du Bugle et nous présente un répertoire issu de son dernier album, The Same As It never Was Before, sorti en 2011. Il est accompagné de Sylvain Romano à la contrebasse et de l’exceptionnel tandem Kirk Lightsey au piano et Billy Hart à la batterie. Ces deux vieux routiers du jazz seront la principale attraction du set.

Billy Hart, 71 ans, a joué avec les légendes, dont Otis Redding, Wes Montgomery ou Miles Davis. Quant à Kirk, 75 ans et toutes ses dents, c’est un phénomène scénique, qui joue du piano autant qu’il joue avec son piano. Il a côtoyé Yusef Lateef, Betty Carter ou Chet Baker entre autres. Quand ils sont réunis tous les deux sur la même scène, un phénomène paranormal se produit. Des ondes cérébrales se propagent entre eux, à peine perceptibles pour qui sait capter leurs échanges de regards, brefs et vifs comme l’éclair. Pour relancer un chorus ou enchaîner un changement de tempo. C’est surtout la joie perceptible sur leur visage, ce sourire d’enfants espiègles qui trahit leur complicité.
Le grand Kirk nous donne en début de set un aperçu de son autre talent à la flûte traversière. Il nous interprète en solo avec beaucoup d’émotion un morceau aux sonorités orientales. Mais c’est de retour aux commandes  de son Steinway qu’il prend toute sa dimension. Volubile, élastique, il vit la musique avec tout son corps, balançant des pieds ou happant les notes de sa bouche ronde ouverte. Billy nous gratifiera d’un solo de batterie dantesque dont les marbres du théâtre antique résonnent encore.

Longue vie à ces deux gamins du jazz, qu’ils nous réjouissent encore longtemps !

Willy J


11 juillet 2012 – théâtre antique

samedi 14 juillet 2012

Madame Dianne Reeves



  












La dernière rencontre entre Dianne et Terri sur la scène de Vienne remonte à 2000. Leur collaboration n’a cependant jamais cessé, cette dernière s’est en effet consacré à l’écriture et à la production d’autres artistes depuis une dizaine d’années. Nous avons d’abord droit à une mise en jambe du sextet à dominante féminine, Tineke Postma et Tia Fuller au saxophone, Nir Felder à la guitare, Helen Sung au piano, Joshua Hari Brozoski à la basse et bien sûr Terri Lyne Carrington à la batterie et à la direction.
C’est néanmoins l’arrivée sous les projecteurs de la belle Dianne qui va sonner le vrai début du concert. Comme en apesanteur elle avance sur le front de scène, majestueuse et souple. Elle nous indique que Vienne est « my favourite place to be ». Cela tombe bien nous aussi. Surtout quand elle y chante. Cette grande dame du jazz, héritière légitime d’Ella Fitzgerald ou Sarah Vaughan, possède une voix large et précise, chaleureuse et émouvante. Son sens de la scène et son charisme de féline capte notre âme instantanément.
Durant tout le set, elle va nous offrir des interprétations  où elle laisse libre cours à sa large étendue vocale, son sens du placement et des nuances. Nous régale de scats aérés, avec un sens du swing instinctif. A preuve sa présentation de chacun des musiciens en impro chantée. Une pure merveille.
Cette  femme qui incarne ses chansons a donc su hier soir nous transmettre sa grâce, faire rayonner son talent, éclipsant de fait ses acolytes musiciennes. En signe de rappel, le public entonne une note unique qu’il avait déjà été invité à chanter sur un morceau précédent. C’est alors qu’une clameur envoutante s’élève dans le théâtre antique. La magie du lieu et de l’instant se focalise en ce point précis, dans un moment simple et profond. L’essentiel était bien là : ce cadeau de la Vie qui nous a été offert de pouvoir vibrer à la source première du chant. Merci Madame.

Willy J

Théâtre Antique – Mardi 10 Juillet 2012

Mythique Avishai



Autant vous le dire de suite, j’aime la musique d’Avishai Cohen. Je suis devenu accro à ses mesures multiples. Comme çà, sans m’en rendre compte. Car bien sûr au début je n’avais pas réalisé. J’avais juste été happé par cette sorte de décalage, ces accélérations qu’il me semblait percevoir. Comme des hoquets dans le tempo, qui rendent fou dès qu’on les accroche à l’oreille. Quelque chose de nouveau, de jamais entendu auparavant. La section d’hier soir, quasi exclusivement rythmique, permettait cet exploit, le jeu de piano de Omri Mor étant éminemment puissant dans cet emploi. Amir Bresler quant à lui tenait la batterie. Ces deux jeunes musiciens qui entourent Avishai depuis l’an dernier sont absolument époustouflants. Une virtuosité prodigieuse toujours enrobée d’émotion. Une vélocité effrayante. Mais surtout une capacité à improviser des brakes vertigineux et millimétrés.
 
            Effectivement Avishai compose suivant une suite de mesures complexes, loin du traditionnel 4/4. Les musiciens vous diront que c’est difficile à jouer. Pourtant aucun effort visible sur scène hier soir, aucun labeur. Seulement un homme et sa contrebasse qui dansent le tango ensemble. Qui dansent et font presque l’amour. De cette jouissance exulte un chapelet d’accords, un jet d’envolées lyriques et extatiques. Ensuite frottées, les cordes n’en restent pas moins sensuelles. Le rapport de l’homme à son instrument s’emprunte de tendresse. Chaque morceau est construit suivant une progression alternée de manques, d’attentes, de contretemps qui attisent le désir. Dans une sorte d’anti-thèse de la monotonie. Dans un nouveau phrasé.

Cette cadence désaxée est appuyée par une harmonie non moins déséquilibrée. Usant de gammes orientales, le trio nous laisse constamment en tension, ne résolvant l’équation qu’à la toute fin de la partition. Inutile de vous décrire l’état de nerf dans lequel le public se trouvait hier soir à mesure que le set avançait. Une nervosité joyeuse, tonique, racine d’une profonde envie de danser. Sur scène, les trois furieux font exploser le jazz. Jamais les limites de la rythmique et les cadres de la pulsation n’avaient été provoqués à ce point, repoussés aussi violemment, aussi brillamment. Nous vivons certainement les prémices d’une révolution peut-être aussi déflagrante que le bop fut à l’époque.
 
Les 6000 personnes présentes exultent. Si plus aucune frontière ne semble tenir, qu’est la musique ? Hier soir, c’était une explosion cosmique, une beauté dévastatrice, un point d’orgue dans l’histoire du jazz. « The best place we’ve ever been » confiait Avishai à son public, tout en communion. A preuve les quatre rappels et la fougue d’un trio qui aurait pu en consentir des dizaines, jusqu’au bout de la nuit, jusqu’à épuisement, si la régie n’avait stoppé cet élan.

La cerise sur le gâteau, c’est la beauté de la personne derrière l’artiste. Nous rappelant ses origines Israéliennes, Avishai enchaîne sur un morceau composé par un ami Libanais, un hymne à la tolérance. Présent au chant sur une bonne moitié des compositions, il confirme un talent vocal, une voix belle et engagée, en anglais, en espagnol ou en hébreux.

C’est à ces multiples faisceaux que l’on peut considérer le concert d’hier comme mythique. Il entrera dans la mythologie du jazz au même titre que le Köhn concert ou le Jazz at Massey Hall. Quand le piano européen tempéré parvient à sonner libanais, il ne faut plus chercher du côté des instruments mais des hommes. Ces hommes passeurs, transformés le temps d’un concert en démiurges, voleurs du feu sacré pour nous le transmettre. Ou encore, selon les termes d’Avishai pour reconnaître le talent de ses musiciens : des « fucking bastards ! »



Willy J 

Théâtre Antique de Vienne
Dimanche 8 juillet 2012

Esperanza Spalding





Suivons l’artiste qui nous présente dès son entrée en scène la grande famille qui l’accompagne. Pas moins de dix musiciens, une section de cuivre charpentée et une polyvalence de la plupart sur les chœurs. Une formation riche donc, bien emmenée par la compositrice et chef d’orchestre de ce mini big-band. Elle-même à la basse électrique et au chant. Elle va néanmoins enfourcher rapidement sa contrebasse dès le second morceau, issu du dernier album « Radio Music Society ». Troisième galette de l’artiste américaine, manquant singulièrement de relief sur la hifi du salon. Cependant sur scène, la môme de Portland prend toute sa dimension. Epanouie avec les cuivres, sereine avec sa basse, elle peut laisser libre cours à son talent vocal. Car ce n’est pas la moindre de ses dispositions que de présenter une vraie proposition artistique sur deux instruments avec le même brio. Les cordes vocales et celles de la basse vibrent d’une même spontanéité, toute d’élégance et de légèreté. Ajoutez à cela son charme et un plaisir évident à être sur scène, vous obtenez le cocktail savoureux qui a régalé le public du théâtre antique hier soir. Même si certains afficionados de la contrebassiste en elle pourront regretter un certain revirement vers le chant.
Abordant les thèmes de son temps sur un jazz soul décomplexé, Esperanza affiche tout simplement l’évidence artistique : du talent, de la joie et une capacité à nous emporter dans son univers. En simplicité, en douceur. Assis dans le train de son périple, vous tournez la tête vers la fenêtre pour voir le paysage et vous êtes déjà au milieu d’une clairière verdoyante où la petite semble jouer avec ses potes de lycée. Sonorisant le ciel bleu et les nuages, électrisant les oiseaux, sa mélodie et son allégresse nourrissent les anges qui l’écoutent discrètement. Ou peut-être joue-t-elle uniquement pour elle-même, pour ce frisson et cette liberté qu’elle semble éprouver dans l’interprétation. La clairière c’est la scène du théâtre de Vienne, les anges c’est nous. L’émotion est cependant réelle, tant les thèmes abordés sont habités, en particulier lors du duo avec Chris Turner. Même le populaire « Black Gold » prend de la profondeur. L’ensemble du set est copieusement assaisonné de chorus qui nous rappellent que nous avons à faire à de vrais musiciens de jazz maitrisant leur sujet, ce que la tonalité popifiante de l’album nous avait fait oublier.
Une entrée fraiche et vibrante, idéale pour une mise en bouche avant la déflagration qui allait suivre en seconde partie de soirée avec Avishai Cohen.

Willy J

8 juillet 2012

Soirée Nu-soul mi-figue mi-raisin


 Robert Glasper Experiment puis Erikah Badu


 




            Le public jeune et branché présent hier soir connaissait certainement déjà le son de Robert Glasper sans avoir forcément mémorisé son nom. Cet authentique pianiste de jazz issu du sérail n’a en effet pas hésité à explorer les contrées du hip hop et de la soul : il fut sideman de groupes tels que Bilal, Mos Def ou The Roots. C’est dans sa propre formation qu’on le retrouve ce soir, telle que nous l’avions appréciée sous le chapiteau du Jazz Mix l’an dernier. Si le répertoire est différent, l’énergie mise en jeu l’est aussi. Alors que nous nous étions régalé des excentricités de Casey Benjamin et des envolées électro-lyriques d’une cuvée grand Glasper, nous avons droit ce soir au vin de table ordinaire. Est-ce le trac de la grande scène du théâtre antique, la pression de jouer avant une star soul sur-médiatisée ? Toujours est-il qu’avec le même vocoder, les mêmes distorsions et certainement la même sincérité, le résultat est pourtant très différent. Les compositions restent bien léchées, les arrangements absolument précis. Le talent du maître – inspiré par Monk – est bien présent en backstage. Mais seulement en backstage et c’est dommage. C’est une occasion manquée de faire découvrir un hip hop de grande tenue, issu d’une filiation jazz pure souche, à un public qui n’y serait peut-être pas venu naturellement.
 
                La deuxième partie s’annonce immédiatement plus conséquente comme en témoigne la pléthore de techniciens qui installent la non moins pléthorique quantité d’instruments. Après une attente fébrile d’un public visiblement venu pour ce second concert, la jeune diva soul Erykah Badu apparaît drapée dans une grande djellaba blanche qui lui fait capter toute la lumière du théatre, la focalise pour mieux la réfléchir, à l’image de la lune qui se dévoile simultanément à l’aplomb des gradins. Telle une prêtresse rompue aux attentes de ses fidèles, elle déambule lentement avec un charisme bien huilé. Bras levés de la déesse, bras levés dans la fosse, groove instantané. On ne peut nier une présence scénique intuitive, un aplomb impressionnant. Côté son, cela envoie du lourd également. La régie du festival s’est certainement faite liver une nouvelle sono, tant les infrabasses nous traversent les côtes. Du jamais vu au théâtre antique.

            Une surface de contrôle à main gauche, le Macintosh à main droite, la chanteuse envoie ses effets, module les potentiomètres biométriques et envoûte ses fans à coup de scat, de sa voix profonde et rocailleuse. Elle électrise d’ailleurs tout autant ses musiciens, en réelle chef d’orchestre, avant de s’octroyer un solo de djembé électronique à l’instinct. La flûte traversière vient aérer ce gros son, très carré, très écrit. Mais dont on sent à mesure du set que l’interprétation devient flottante. Dans son homélie, la jeune artiste nous assure « qu’elle chante parce qu’elle se sent mieux quand elle chante. Et qu’elle a la conviction que si elle se sent mieux, les autres se sentiront mieux autour d’elle ». Une bien belle philosophie qui nous émeut. Elle pousse même la générosité jusqu’à présenter des créations hip hop indépendantes de son batteur et nous en faire écouter quelques extraits. Et puis les douze coups de minuit sonnent. Pas à la cathédrale de Vienne, mais sur l’ordinateur qu’un membre du crew porte ostensiblement. La durée du chronomètre-minuteur au millième de seconde vient de s’achever. J’avais un doute sur l’utilité de cet écran pas même caché du public. J’eu un affreux pressentiment quand j’ai vu les musiciens meubler, faire tourner les grilles comme pour allonger le morceau. Parce qu’ils étaient sans doute en avance sur le chrono. Sur la durée prévue au contrat. Ne pas prendre le risque de finir avant, le festival pourrait réclamer son dû. Mais en contrepartie, ne pas jouer une minute de plus. Ce serait de l’argent perdu, en tout cas pas gagné. Cela explique certainement pourquoi, pour la première fois de ma vie, j’ai vu un public conquis et enthousiaste se voir refuser un rappel. Malgré toute son insistance et son empathie. C’est alors que j’ai compris que venait de se dérouler sous nos yeux un grand jeu de dupes.
 
        Voilà qui devrait mettre fin à la dispute qui opposait les tenants de l’artistique à ceux du commercial dans le dénudage de la pouliche des studios Universal  sur l’avenue Elm Street de Dallas.

Les Take 6 apportent un vent de liberté sur les planches du théâtre antique





            En dépit des orages incessants le jour, en dépit de la météo pluvieuse et fraîche le soir, près de 1500 personnes ont maintenu leur venue au concert hier soir. Cette information suffit à cerner la motivation du public, calfeutré sous les parapluies, venu coûte que coûte assister à la prestation vocale des chanteurs de Huntsville. Quand ils apparaissent sur scène, le contraste est saisissant entre leur élégance, leur tenue légère et raffinée – moccasins cirés, gilet de soirée – et la foule attifée de capuches et de ponchos informes. Pourtant aucune barrière ne nous séparera vraiment d’eux durant toute la soirée. A peine sur scène, une proximité s’établit naturellement.

           Nous sommes pourtant éblouis par leur talent. Leur virtuosité vocale est tout simplement stupéfiante : précision tonale, précision rythmique. Fluidité et vélocité harmonique. Sans oublier l’étendue de leur tessiture qui semble couvrir plus de trois octaves, pour Alvin Chea ou Khristian Dentley notamment. Ce n’est pas un hasard si le groupe s'est produit entre autres avec Quincy Jones, Ella Fitzgerald, Stevie Wonder ou Al Jarreau. Cependant la virtuosité disparaît pour l’oreille profane, et ne transparaît in-fine qu’une sensation de joie et de liberté en action. Les six compagnons affichent une désarmante facilité et un sourire qui achève de nous bluffer. On aurait presque envie de former un groupe avec les voisins pour la prochaine fête de la musique. C’est là l’essentiel : leur joie est communicative, leur liberté est empathique. Peu importe les années de travail et de formation, peu importe le coût pour intégrer la technique. La véritable alchimie se passesur scène, dans une communion avec le public répétée, concert après concert. Est-ce parce que leur inspiration vient du Christ ? Ces chanteurs de gospel n’ont pas renié leurs origines, plus de 25 ans après. Sans ostentation, sans prosélytisme, simplement par leur chant, ils  nous font ressentir combien leur foi est vivante, combien ils aiment la faire partager. Leur plaisir à être ensembles et à jouer  – pas seulement musicalement – est visible. Pour ceux qui ont eu la chance de voir Bobby Mc Ferrin il y a deux jours à Vienne, il est frappant de remarquer certaines similitudes de jeu de scène, d’espiègleries ou de farces. Ce même amusement dont nous gratifiait également Al Jarreau l’an dernier…

                Peut-être est-ce leur foi qui fonde leur liberté d’être. Leur façon de se mouvoir sur le plateau, de se croiser en d’invisibles arabesques, en une chorégraphie complice. Sur la scène nue, sans instruments, sans sonorisation presque, pourvus du seul micro sans fil, ils sont là, eux et leur voix. Leur corps et leur chant. Une incarnation de la sobriété heureuse. C’est cet alignement  que nous percevons et qui nous irrigue à notre tour. Les parapluies dansent, les ponchos se déhanchent. La pluie devient une bénédiction du ciel avec qui nous faisons corps.

               N’allez cependant pas croire que cet état fut atteint par la seule douceur des arrangements de voix harmonisées. Leur premier album éponyme en 1988 fut un choc, où Alvin Chea (basse), Mark Kibble (ténor), Claude McKnight (ténor), David Thomas (ténor), Cedric Dent (baryton, maintenant remplacé par Khristian Dentley) et Mervyn Warren (ténor, maintenant remplacé par Joël Kibble), révélaient la puissance de leur polyphonie strictement a capella. Avec des imitations vocales de percussions, de contrebasse ou de trompette saisissantes. Depuis, les étudiants de l’Alabama ont grandi et n’ont cessé d’innover. Jusqu’à intégrer le beat-box et les accents hip-hop. Khristian Dentley qui a rejoint le groupe en 2011 en est la preuve éclatante. Ses capacités de slam et de beatboxing font pâlir les rois du rap. Son solo de DJ virtuel et de scratch vocal d’hier soir était juste invraissemblable. Par ailleurs l’accompagnement de piano vient dorénavant s’inviter sur quelques titres. Le répertoire nous a également incité au déhanchement. Stevie Wonder, Michael Jackson, Doobie Brothers, Prince font partie des  références du groupe, qui se ré-approprient leurs titres a capella et avec fraîcheur.

             Cette une proximité vivante que nous avons vécue hier soir, palpable du début à la fin. Du début, où Alvin Chea nous témoigne sa joie sincère à voir un public bravant la pluie ou encore remercie les organisateurs pour leur persévérance,  là où d’autres festivals auraient annulé la soirée. A la fin, où pendant la séance de dédicaces, nos chanteurs se laissent prendre en photo, signent des autographes,  serrent des mains ou font la bise aussi naturellement que s’ils étaient nos frères. Avec une joie réelle et palpable d’être là avec nous. Malgré le soleil absent, malgré les flaques d’eau. Juste le bonheur d’être ensemble. Cette presque béatitude de fin de concert se vérifie également dans les relations entre spectateurs, entre inconnus devenus si proches. La parole s’engage naturellement. La même lueur dans les yeux, cet apaisement d’avoir été bien nourri, cette connivence d’avoir partagé le festin ensemble. On aurait presque envie de se revoir, de devenir ami, de s’inviter à la maison. Alors n’oubliez-pas, pour agrandir votre cercle, la prochaine fois, venez au concert des Take 6 !



Willy J

Dimanche 1 juillet 2012 – scène du Théâtre Antique

vendredi 13 juillet 2012

Duo de cordes

Bobby Mc Ferrin & Chick Corea



Le jeune homme d’une soixantaine d’années s’installe posément sur la chaise de la grande scène viennoise, inhabituellement vide. Seulement complétée du piano de Chick Corea. Et de l’habituel verre d’eau. Tout en intériorité, Bobby Mc Ferrin paraît être un bruiteur de film, un bruiteur dans son film. Sa cage thoracique devient caisse de résonance, sa main une baguette subtile pour la frapper. C’est la première fois que je le vois sur scène et je comprends sa réputation d’homme instrument sans instruments. « The voice », son album de 1984 était le premier album solo de jazz vocal sans accompagnement. Avant lui, il était inconcevable que la voix s’explora dans d’aussi multiples dimensions. D’où vient la voix ? Langue, larynx, palais ? Cordes vocales ? De poitrine, de tête ? Ce que nous montre ce soir cet artiste, c’est qu’elle est avant tout une résonance du cœur. Partant, elle devient libre et aucune facéties ne lui est étrangère. Espiègle, agile : tel est le sourire de Bobby quand il chante. Quand il chante pour nous. C’est un cadeau subtil, un don qu’il nous faut recueillir délicatement dans un calme intérieur. Tout juste troublé par les soubresauts légers de la joie que nous procure les onomatopées et les syncopes de l’oiseau lyre.

Chick Corea joue le jeu, pianissimo, prenant soin des cordes de son voisin autant que de celles de son piano. Notre vieux sorcier vocalisant atteint une telle fluidité avec son djembé de poitrine qu’il s’en passera à peine durant tout le set. Chaque morceau explore un voyage différent. Ici les steppes africaines et la course du guépard fondant sur la gazelle, rythmée par les tambours bantus. Là une forêt tropicale peuplée d’animaux étranges et fascinants.

Si Bobby a d’abord calmé les ardeurs d’une partie du public qui clapait à contre-temps, il s’est ensuite révélé un parfait chef de choeur pour la chorale des 8000 chanteurs du théâtre antique. Sur le morceau suivant, il fait le pitre, pastichant la voix de crooner avant d’aller babiller comme un nourrisson à deux centimètres de la caméra de scène. Ou encore de jouer la troisième main sur le clavier de son copain pianiste et même faire chanter le caméraman !

Cet homme est capable de passer de la légèreté la plus naïve à la profondeur la plus émouvante. Il sait créer une tension mélodique et rythmique qu’il pousse à son paroxysme pour enfin nous libérer in extremis, relâchant nos tensions, soulageant notre corps comme notre âme. En digne chaman vocal toujours adepte de la gamme pentatonique, qui donne cette couleur Japonisante à certains de ces morceaux.

Pour le rappel nous avons le privilège d’assister à une immense master-class de scat. Tout le théâtre reprend en cœur les propositions mélodiques et phoniques du maître. Toutes les couleurs, toutes les tessitures y passeront, du burlesque sergent Garcia à la fluette vierge diaphane, en passant par le klaxon ou le ténor. Ce qui pourrait passer pour une performance marqueterie devient dans sa bouche un pur moment de poésie.

Thank you Mister Mc Ferrin !


Willy J - Samedi 29 juin 2012 - théâtre antique

jeudi 12 juillet 2012

Hugh Laurie alias Dr House

                  La production de l’artiste a décidé de restreindre les prises de vue du concert à une poignée de happy few, dont le photographe de la Jazz-Letter ne faisait pas partie. En conséquence, ce concert de Hugh Laurie restera invisible à ceux qui n’y ont pas assisté physiquement. Pas de photos, pas de mots.


            Il est dommage de restreindre la pluralité des médias, et plus encore dans le champ culturel, qui se nourrit des interactions, des relations et des frottements des esprits. En un mot dans un domaine où la diversité est l’essence même de sa raison d’être.

Pas de regret cependant, car si la plupart des spectateurs ont applaudi le concert, c’était plus l’icône que le musicien qu’ils gratifiaient. Une oreille à peine musicale relevait en effet l’absence d’étendue vocale du médiatique docteur et pour tout dire, l’absence de voix. L’album n’en laissait rien présager, c’est donc aux ingénieurs du son qu’iront nos louanges !



Willy J

Théâtre Antique de Vienne
Mercredi 11 juillet 2012

Melody Gardot



La production de l’artiste a décidé de restreindre les prises de vue du concert à une poignée de happy few, dont le photographe de la Jazz-Letter ne faisait pas partie. En conséquence, ce concert de Melody Gardot restera invisible à ceux qui n’y ont pas assisté physiquement. Pas de photos, pas de mots.

Il est dommage de restreindre la pluralité des médias, et plus encore dans le champ culturel, qui se nourrit des interactions, des relations et des frottements des esprits. En un mot dans un domaine où la diversité est l’essence même de sa raison d’être.

Dommage surtout, car vous auriez pu revivre ici un concert léché, où l’ambiance feutrée des lumières de scène et les ondulations graciles de la charmeuse Melody n’avait d’égal que le velours de sa voix.




Willy J

Théâtre Antique de Vienne
Mercredi 11 juillet 2012