lundi 26 mars 2012

Louis Sclavis


Sclavis débute à la clarinette basse immédiatement suivi d’un solo de Keyan Chemirami à la cruche, l’instrument de musique en terre cuite du Niger, aussi appelé udu. La salle répond : yes, la soirée est lancée ! Gilles Coronado  à la guitare ondule au moins autant que la reverb de son instrument, façon David Gilmour. Ses riffs ondulatoires sont l’axe autour duquel viennent orbiter les jets de clarinette, les accords du piano Rhodes avec Benjamin Moussay aux manettes et toujours le rythme crescendo de l’udu. La sonorité est orientale et finement psychédélique. Sur le morceau suivant, dresseurs de nuages , c’est le piano qui libère poétiquement des perles de notes en chapelet, cueillies au passage par l'anche complice et les cordes délicates. Le morceau évolue en apesanteur, bondissant parfois au sol pour mieux jaillir en flèche, syncope lunaire et profonde. Très écrits, les morceaux gardent néanmoins une spontanéité communicative. Introspection musicale qui sait garder une trame narrative, le set sera tout entier funambule, tiré entre nappes et syncopes, entre tensions et détentes.


Que ce soit sur Quai sud, Source, Along the Niger ou encore Près d’Hagondange, les arrangements flirtent gentiment en terre contemporaine, sans toutefois dérouter un public visiblement très en communion ce soir. Ce trio constitué depuis plus d’un an devrait nous gratifier d’un album prochainement. Souhaitons y retrouver toute l’alchimie qui était à l’œuvre ce soir.
 A noter enfin qu’une captation du concert a eu lieu, vous serez les premiers informés de la diffusion !



Willy J – jeudi 22 mars 2012

Really the Blues



Ladies and gentlemen, coming from New York for you tonight, Marc Ribot  !
La liste des musiciens avec qui cet artiste a travaillé est pléthorique, de John Zorn à Marianne Faithfull, de Cassandra Wilson à Alain Bashung, en passant par Elvis Costello, Anthony Coleman ou Norah Jones pour n’en citer qu’une poignée.
De fait, Vaulx en Velin se retrouve subitement propulsé dans le  New Jersey et la scène de la salle Charlie Chaplin n’a pas le temps de se demander ce qui lui arrive qu’elle est déjà chauffée à blanc par les riffs sauvages de Marco, ensorcelée par les accords plaqués à l’orgue par Cooper Moore, par la cadence démoniaque de JT Lewis à la batterie. Placé à bonne distance et face à son trio, Marc Ribot est prêt pour la joute  qui va nous galvaniser durant tout le set. Aucun temps mort, aucun répit pour les protagonistes. La grille de blues ancestrale répétée en boucle est le cadre posé pour toutes les improvisations, tous les chorus insensés et débridés. Tour à tour la batterie, l’orgue et bien sûr la guitare vont laisser exploser leur instinct sauvage.

Inspiré par la vie et l’œuvre de Mezz Mezzrow , en particulier son livre Really the blues , Ribot adopte une posture résolument blues roots.  S’il ne semble pas sous l’emprise des substances chères à Mezz, c’est dans ses compositions qu’il a introduit de quoi nous amener de façon certaine à l’état modifié de conscience.

Il tricote des sucres d’orge sonores, empile les tonalités jusqu’à construire une ville harmonique. Un maquis de stalagmites chatoyantes sur lesquelles on sautille à cloche pied, comme un héros de jeu vidéo. Le quartet possède cette puissance créative qui lui permet de créer un cadre mélodique et rythmique en même temps que la pulsion tribale qui s’y épanouit à l’intérieur. A ce niveau de beauté, il ne s’agit plus seulement de virtuosité d’interprétation et de composition combinées, mais bien de cette touche sacrée que savent aller chercher certains grands. Il ne reste alors qu’à bénir l’homme qui a fait advenir cet instant sous nos yeux, et remercier. Thank you Marc !


Willy J pour la Jazz Letter  – jeudi 22 mars 2012 – A Vaulx Jazz

Eddie Palmieri




Attablé au Bösendorfer, du haut de ses 73 ans, Palmieri amorce ce type d’intro caractéristique du piano portoricain, un pas en avant deux pas en arrière, où chaque mesure rend impatient de la suivante, dans une houle qui suscite son propre désir, interminable prélude, paroxysme sans cesse renouvelé sur lui-même. Amenant le développement du thème haut, très haut, sur les cimes desquelles il ne redescendra plus. Ecriture qui évoque celle des Masters At Work sur leur mythique projet Nuyorican Soul. Les deux DJ new-yorkais  Kenny « dope » Gonsalez et Little Louie Vega  y travaillaient les rythmes salsa aussi savamment que notre invité de ce soir, qui figure d’ailleurs aux crédits de l’album.
En revanche la trompette de la soirée  est quant à lui une figure bien caractéristique du quartet, en est même l’éclat précieux. Palmieri a décidé de mettre le jeu de Brian Lynch en première ligne, comme en enfant qui se régale d’une marionnette, s’assoit et lui dit « maintenant, joue ! ». Et il est vrai que l’interprétation est enchanteresse. Elle déchire le voile brumeux de notre tiédeur, arrache les harmonies des entrailles de la terre pour les projeter en jets dorés dans l’espace vide de la salle, dans le ciel azur de Vaulx en Velin. Le planétarium n’en croit pas ses lentilles. L’alchimie serait fragile sans le suspens entretenu par Ernesto Simpson aux percussions, extatique alternance de jeu tour à tour caressant puis martelant, en accélération puis stoppé net,  qui nous harponne dans sa syncope sans autre issue que la danse. La contrebasse enfin, avec le très jeune Lugues Curtis qui tient son rôle avec brio au milieu de tant de génie, et apporte une cohérence harmonique douce à nos oreilles.

                  Palmieri est un virtuose du piano certes. Il y a une touche de Monk qui serait tombé dans la salsa, pour le meilleur du contre-temps. Mais ce qui distingue les compositions, l’interprétation et surtout la direction du sieur Eddie, c’est sa capacité à jouer des ressorts de ses musiciens pour créer la résonnance de phase. Chaque chorus est à la fois saillant d’éclat et toujours ancré dans le socle de jeu des partenaires. Après avoir voltigé en solo dans les hautes sphères le retour est assuré en douceur par les collègues.

                  Le tableau de la soirée ne serait pas complet sans l’évocation de ces danseurs qui ont poussé les chaises, incapables de contenir le serpent fougueux qui ondule en eux. Une belle groupie au sang chaud et portoricain sans conteste, tailleur japonais rouge écarlate qui rehausse sa chevelure noire jais. Dont seuls les talons ultra aiguille la relie encore à un sol qui n’existe plus pour elle. Mue par le fil invisible et frénétique qui vibre aux ordres du maestro, elle fascine. Ou bien encore ce couple qui entame la danse, légèrement à l’écart du public et coulent leurs corps dans des pas de salsa. Entrelacs de passes, déhanchés emboités, frôlement des êtres.

                 Ainsi s’est achevée l’édition 2012, avec une soirée de clôture feu d’artifice. Nous souhaitons à l’équipe  du festival une programmation aussi heureuse pour la saison prochaine !





Willy J – Samedi 24 Mars 2012 – A Vaulx Jazz

mercredi 21 mars 2012

Les doigts de l’homme


 
A la salle Molière, tout le monde veut y être. Les catholiques comme les républicains. Son faste impressionnant n’ôte pas le doute : suis-je entré dans la chapelle du curé d’Ars ou dans une salle du conseil de la révolution ? Les tuyaux d’orgues majestueux, les anges aux ailes dorées me font incliner pour la première hypothèse. Mais les stucs dorés idem, estampillés « RF » me rappellent à l’ordre. Heureusement, car le groupe qui prend possession du lieu ce soir pencherait plutôt pour un militantisme assumé. Sur scène, Olivier Kikteff – guitare, chant, oud – distille les messages engagés – sur l’identité nationale par exemple – ou les titres provocateurs comme « Camping Sauvage à Auschwitz ». Dans un style manouche réveillé et vivant, le quartet emmène son public au doigt et à l’œil. Tanguy Blum à la contrebasse, Yannick Alcocer et Benoit Convert à la guitare.
Public qui en redemande, enthousiaste. Des compositions plus calées que celles de Brassens nous transportent, sur « La valse des Rois »  par exemple. Tanguy Blum y exhale un râle de contrebasse bien grasse. Plus chaloupé, le morceau « Zinedine Tzigane » vire alternatif, évoque les jeunes années des Négresses Vertes. Quelques spectatrices à l’étroit dans leur fauteuil ondulent instinctivement. Si une piste de danse était disponible elle serait déjà remplie. Un son qui fait danser subtilement mais irrémédiablement. Le groupe nous recentre à l’essence du Jazz, vieille dame éternellement renouvelée, vivante de son éternelle jeunesse. Accueilli par une salve d’applaudissements spontanés, un triomphe, un tonnerre de Brest sous la coupole dorée !
Le rappel est intimiste et complice, tout sauf de l'indifférence. Tony Murena invoqué comme une ritournelle, une formule magique sortie d’un vieux grimoire, une nostalgie vivante et vivifiante, une larme de joie imprévue.
Douceur tzigane, orphelins de la terre, fils du swing, nous communions dans cette chapelle musicale. Un dernier « Poinçonneur des Lilas », pour que Gainsbourg se trémousse dans sa tombe. Et adios. Les Doigts s’envolent pour Bornéo le lendemain. Est-ce cette lumineuse perspective qui insufflait l’allégresse à cette soirée magique ? Une seule certitude : les esprits du Jazz étaient de la partie.



Willy J
Vendredi 6 mai 2011 - salle Molière

Hot Club Cowboys


 
Le patron du club présente les quatre musiciens déjà sur scène et l’on voit d’abord des visages poupons et sérieux, genre gendre idéal. Dimitry Baevski attend poliment la fin du speach, saxo en bandoulière, puis présente ses gars : Joe Cohn, guitare serrée contre lui, salue timidement. Joe Strasser à la batterie et Mathias Allamane à la contrebasse - en costard du dimanche - font leur révérence.

Cependant, dés les premiers sursauts du saxe, on sait que ce n’est pas le quatuor du lycée qui joue pour la remise des diplômes. Mais plutôt le quartet élancé dans l’œil du cyclone. Le souffle précis et flexible, le son gras et perçant nous prend par l’oreille instantanément. Mutine et sautillante, la rythmique de la guitare vous cueille au talon, déjà vous frappez la grosse caisse et hochez du chef. Joe est parti sur son balai magique. Harry Potter du jazz, il essaie de maîtriser son instrument par moult rituels vaudou, roulades aériennes et grimaces convulsées. Jaillit de cette bataille un chapelet de notes en grappes et un accord irréel par sa main droite élastique. Dimitri, pas impressionné, se range sur le côté et attend l’issue du combat. Joe victorieux, la salle emportée, le quartet embraye et continue son road-movie infernal. Un sourire malicieux sur les lèvres, le bassiste pince ses cordes frénétiquement dans une lutte digne de Joe, la taille de l’engin en plus. Le batteur nous livre deux solos à déchirer les pierres de la cave voutée. Le mercure a pris quarante degré, et j’ai tout à coup l’impression d’être assis en deuxième classe sur le siège du milieu d’un avion modèle réduit. J’ai envie de danser. Mon voisin manipule un truc énorme qui ressemble à un appareil photo. Fin du premier set.
 

Quand Dimitry introduit la deuxième session, le costume n’est pas encore totalement craqué. Nos cowboys New Yorkais ont pris la fuite, mais ils ne sont  pas encore devenus sauvages. Cela ne va pas tarder. A mesure que s’enchaînent les morceaux, une communion harmonique et rythmique s’installe, crescendo. Le quartet devient aérien, fluide, entêtant. On voudrait se brancher ad-vitam sur ce flux d’énergie, ce flux de vie. Les bandidos de la salle qui ont suivi la chevauchée fantastique, pleins de sueur et de sable, en redemandent. C’est au saloon que la suite aura lieu.

Quand ils m’annoncent le nombre impressionnant de dates de leur tournée européenne, qui se termine à Vladivostok, je comprends que ces gars là sont des cowboys pour de vrai. Ils essaient de me faire croire qu’ils carburent à la bière. Mais je comprends vite que c’est plutôt au magnétisme de Marina, leur séduisante impresario. Le batteur m’indique que l’accueil en France est excellent. Les jazzmens - Apaches ou Yankee – nous font toujours rêver et ce n’est pas ce soir qu’on va changer d’avis.

Hasta la Vista in Lyon !

 

mardi 20 mars 2012

JAM SESSION & STAGES



Çà bœuf dur à Matour !


Du bourguignon bien sûr, du Charollais bien saignant. Après les concerts, les Jam Sessions à la Maison du Patrimoine étaient « the place to be ». Dans la petite salle du Pavillon du Manoir, sous un plafond charpenté bois traditionnel magnifique, un boeuf non moins musclé mais plus innovant à pris place jusqu’au bout de la nuit. Plus de vingt musiciens se sont relayés et parfois jusqu’à dix ensembles sur scène. Quatre trombones, une clarinette, des saxes dans tout les sens, un piano, deux djembés, ...Sans compter le talent de quelques multi-instrumentistes. Tantôt portés par des standards qu’ils développent longuement, tantôt par la simple ligne de basse et la batterie, ils ont brodé toute la soirée dans des tonalités jazz, blues ou funk avec un résultat absolument convaincant. Chaque groupe constitué se cale très rapidement et atteint une résonnance de phase explosive et rythmique. Les chorus se prennent naturellement et sont prétextes à  rebondissement ou à évolution du thème. Jusqu’à une heure indue, les hanches bougeaient seules et les doigts claquaient spontanément. C’est une vraie bouffée d’oxygène de voir le jazz ainsi vivant, de voir cette jeune génération prendre un plaisir jouissif à improviser ensemble. C’est là que se préparent les envies de demain, les projets futurs. La joie de jouer donne une projection dans l’avenir. A quand une vraie jam session dans chaque festival de France et de Navarre ?


Les stages

Jazzcampus c’est aussi une série de stages à la réputation éprouvée. Petit tour d’horizon. Avec les enfants d’abord pour un atelier de soundpainting où ils vont développer leur spontanéité et leur sens de l’improvisation sonore avec Laurent Vanhoenackere. La présentation des travaux des élèves de François Raulin nous montrera une orchestration impressionnante pour une durée d’étude aussi courte. Au contraire Jean-Luc Cappozzo amènera ses musiciens sur des territoires mouvants : le regard des autres sur son jeu, son propre regard pour grandir musicalement. Claudia Solal quant à elle n’aura aucune peine à faire s’exprimer l’oiseau qui sommeil au fond de chacun. Pascal Contet guidera son groupe dans l’exercice délicat de l’accompagnement de film muet, à mi chemin entre sous-titrage et improvisation, toujours dans la poésie, suggérée par « Le Voyage dans la lune » de Méliès et « Les gosses de Tokyo » de Yasujiro Ozu. Pascal Brousseau, Yves Rousseau et enfin Jean-Paul Lautin et Denis Desbrières pour la fanfare assureront tous un atelier de haute tenue dans une ambiance ludique comme en témoigne les mines réjouies de leurs élèves. Au même titre que les jam sessions – où l’on retrouve d’ailleurs beaucoup de stagiaires - les ateliers sont une composante essentielle d’un festival de jazz. Vivier de nos futurs talents, espace de rencontre et de confrontation musicale, c’est ici que se joue le jazz de demain ! A Cluny c’est sûr, il a un avenir.


Willy J

Soweto Kinch




 
A l’image du premier morceau “Suspended adolescence” le début du set sera pur jazz. Lauréat du Montreux Saxo en 2002, Soweto nous rappelle qu’il maîtrise ses bases. Tout comme son invité spécial, Shabaka Hutchings à la clarinette. Graham Godfrey aux drums effleure ses tomes au passage, presque incidemment, pourtant la puissance est bien là, portée avec une grande fluidité. L’écriture musicale est pointilliste, agrégée autour d’un thème pivot et invisible. Petit à petit s’élabore une mosaïque de sons, de couleurs et de rythmes qui dessinent un motif révélé à nos oreilles ébahies. Une dentelle de Calais, un subtil corail. Des thèmes enroulés comme des algues autour d’un Maki. Que l’on pourrait croquer tellement ils deviennent consistants. Le rappeur anglais nous donne entre chaque morceau quelques informations de contexte. Comme ce « Love of money » qui pose un regard lucide sur la folie de l’argent qui s’est emparée de la planète. C’est aussi le début d’une séquence slam avec une ode ironique, déclamative et psychotique au dieu monnaie. Puis « Dereliction » ou encore «Opium seeds». Les paroles martèlent leur sens avec force. Extrait de “Love of money”  :
“She raises hopes like rainbows lifted, never pesomistic
The way we started, we’ll be friends forever
Commenced as treasures, I know we’ll see the end together
Her friends are all wealthy never had to paypals
She wears a crown, but down to keep it real
For you I lose sense, from where or whom were you sent? “

Le public de la salle, à dominante jazz aigue, assiste alors au dévoilement de plus en plus affirmé d’un rappeur superbe, qui matraque ses syllabes avec concision et percussion. Sur un groove funky, Soweto nous enjoint : shake your booty ! Il se dégage une saine énergie des compositions, quelque chose de profondément vivant, comme une pulsation primordiale. De ludique et espiègle à la fois. Serein et posé, apaisant et puissant. Rien que çà ! Une dose de génie quoi. Comme une envie de lui crier « Soweto tu es beau ! ». Mais le plus extraordinaire est à venir. Notre Master of Ceremony qui maîtrise quelques mots de français va se lancer dans un exercice de haute voltige. Il demande au public un mot commençant par F, ce sera Fromage (!), puis R avec Ravioli (!!), O de Orgasme, M de Merci, etc. pas moins de 7 ou 8 mots français que notre rappeur va mémoriser avant de se lancer dans un slam improvisé et splendide. Une grande leçon de hip hop. Même les bouts rimés de la cour de Louis XIV semblent faciles en comparaison (voir le film « Ridicule » de Patrice Leconte). Le résultat est tout simplement impressionnant, et le public est électrisé. Public encore mis à contribution pour un « Raise your spirit » où le « spirit » sera scandé par la salle entière, de plus en plus sauvagement à mesure du morceau ! Soweto réussi la prouesse insensée de convertir quelques centaines de Bourguignons bons teints en horde de guerriers spirituels… C’est vous dire le génie du Monsieur. A attraper absolument dés qu’il revient en France.
 
Willy J

- Q -



  
Sur scène, une guitare, une basse électro-acoustique et une batterie. Plus quelques machines branchées derrière les instruments. Formation simple en apparence mais qui va exploiter toutes les ressources de l’électronique pour nous emporter dans un voyage décoiffant. Dés le premier morceau les musiciens s’immerge dans leur musique, la vivent de l’intérieur, happés, aspirés par elle. Yeux mi-clos, Julien Desprez à la guitare emmène son trio sur ses arrangements originaux.
Mais quelle musique me direz-vous ? Pour ce premier morceau « Plantes » nous sommes plongés dans un rock psychédélique, genre Pink Floyd du Live à Pompéi, qui alterne riffs planants et déluge sonore. Frottement d’archer sur des tubes métalliques. Atmosphère underground et lumière rouge. Je suis à Londres dans un club post-rock. L’écho des cordes me transporte dans un univers à la David Lynch, sombre et mélancolique, radieux soleil noir, jaune espoir. Je suis sur le fil du rasoir et le rasoir aussi. Le fil est en moi. Jeu sanglant mais inéluctable. L’éviter où vivre ?


Q est inspiré d’une vraie poésie même si certains passages sont inaudibles. Puisent-ils dans le chaos la force de leurs mélodies hypnotiques ? Ils enchaînent sur une rythmique rock binaire qui les absout. Fanny Lasfargues en bas résille balance ses riffs et son corps comme une patineuse de vitesse dans un tunnel de stalactites. Toute crinière dehors. Le second morceau, « No coffe, no speak », débute par une intro expérimentale puis une rupture directe sur un heavy metal brutal, où Sylvain Darrifourcq maltraite sa batterie. Les trois apprentis sorciers utilisent autant leurs instruments comme source acoustique directe que comme surface de contrôle vers des sons électroniques les plus extrèmes. Dans un crescendo rythmique démoniaque que n’aurait pas renié Marilyn Manson, ils montent également le volume sonore. A tel point que cela en devient éprouvant pour les oreilles. Le stress acoustique devient trop grand, impossible de continuer à apprécier les arrangements dans ces conditions. Dommage, ce sera la seule fausse note de ce concert.


Willy J

Enrico Rava



 
Le vieux loup du jazz entre en scène avec une jeune garde de musiciens italiens. Gianluca Petrella au trombone, Giovanni Guidi au piano, Gabriele Evangelista à la contrebasse et Fabrizio Sperra à la batterie sont les disciples d’un Enrico qui à tout connu, de Carla Bley à Archie Shepp. Le quintet ne nous laisse pas le temps de nous asseoir que déjà le swing attaque sur une mesure ternaire au tempo vivace. Premier cocktail bondissant où les instruments fusent de toute part, comme ces bonbons crépitants de notre enfance. Les compositions possèdent cet art subtil qui promène la mélodie et les harmonies jusqu’à vous perdre, pour mieux vous amener à la clairière sonore, cette grande catharsis où chaque instrument est la partie d’un immense crescendo rythmique, émotionnel. Le second morceau ne baisse pas le tempo et le batteur aidé du jeune tromboniste s’excitent mutuellement dans une folle émulation qui nous conduit là encore, après moult tensions et langueurs, à l’extase. Suivie d’un chorus de contrebasse élastique.
Les arrangements peuvent enchaîner avec fluidité une séquence de douce ballade, un épisode burlesque, un mix freejazz et s’achever en fanfare au sens propre du terme. De quoi vous achever un public devant tant de virtuosité créative.
Sur le morceau suivant, intro de piano stride au groove presque funk, imparable pour vous déhancher. Puis un swing bon teint comme à la grande époque de Duke ! Pas en reste, Gianluca Petrella fait montre d’une présence et d’une virtuosité qui n’a d’égale que son charme.
La salle des Griottons n’aura jamais vu autant de talents que pendant ces trois derniers jours et ce concert de clôture aura été à l’image de cette édition du festival Jazzcampus, un très bon cru !


Willy J

La fée électrique


 




Benjamin Moussay, Jean-Charles Richard, Joe Quitzke montent sur scène et s’installent respectivement au piano, au saxophone et à la batterie. Puis nous voyons arriver une petite fille espiègle et sautillante. Un petit bout de bonne femme à l’énergie électrique et au visage rayonnant. Claudia Solal use de son charme magnétique pour nous distiller des textes poétiques. Des textes de sa propre composition ou empruntés à Emily Dickinson ou à Shakespeare, déclamés avec fougue et passion. Sa voix précise et brillante n’est pas sans rappeler celle d’Annie Lennox. Les compositions maintiennent une tension exaltante. Pieds nus sur scène, elle est en contact avec l’énergie de la terre. Les textes choisis avec sensibilité sont portés par un timbre limpide à la  couleur d’elfe.

La batterie crée les tensions, les amorces émotionnelles vers le fantastique, le merveilleux, le surnaturel. La clarinette est le guide vibratoire, le sésame qui nous fait basculer dans l’autre monde. Le monde des mille et une notes. Sur « Tara’s room» l’immersion est totale, tout comme sur « Double Rabbit » nous sommes aspiré dans le terrier, pris dans la spirale d’où l’on ressort lessivé, aéré, allongé dans l’herbe nue et humide. Un rai de soleil perçant les feuillages des grands chênes. Parfois le chant s’efface, les chorus d’instruments sont alors comme un long vol plané, porté par l’air, entre deux rives, souffle retenu, haleine vibrante.
« Tara’s room »  et « Room Service » sont des mélodies qui se gravent dans ma mémoire et les ré-écouter est chaque fois une réjouissance intacte. Le morceau prend des accents orientaux avec la sao hoa (flute de bambou vietnamienne) et la bonpure (indienne), maniée avec finesse par notre saxophoniste transformé en charmeur de serpent pour l’occasion. Si vous trouvez que je parle le langage des oiseaux c’est bien normal. Le dernier morceau, « But the birds above » m’a rendu rossignol. Bravo Spoon !


Willy J

Quand l’Afrique défie Poséidon




Ce qui m’impressionne toujours lors d’un concert d’afrotbeat, c’est le nombre de musiciens présents sur scène. Ils sont certes moins nombreux qu’un big-band me direz-vous. Oui et bien justement les big-bands m’impressionnent aussi. Quatre cuivres, quatre percussions, deux guitares, une basse, les claviers, ... Si vous ajoutez deux petites choristes ensorceleuses en diable vous avez une idée du feu d’artifice qui occupe la scène. Feu d’artifice qui attaque d’entrée de jeu très fort, avec des titres enlevés comme le fameux Zombie. Seun nous indique toujours commencer ses concerts avec quelques morceaux de son père afin de lui rendre hommage. Ensuite s’enchaînent les compositions propres au fiston, disons un des nombreux fistons, cadet de son état.
De retour au Niger dans les années 70’, Fela va harmoniser ses influences africaines tel le highlife avec les sonorités des big-bands qu’il a découverts à Londres. Il va également exprimer dans ses textes un puissant sentiment de révolte envers la corruption des élites de son pays. L’afrobeat était née. Aujourd’hui c’est Femi qui laboure les terres nigériennes et fait vivre le mythique Shrine club à Lagos. Quant à Seun, il dirige l’orchestre des Egypt 80 (sur scène ce soir) depuis la mort de son père en 1997.
 Le style est toujours dans la veine afrobeat de la plus belle facture. Avec des accents modernes dans l’écriture, plus jazz dans l’alternance des chorus et des reprises. Des arrangements rafraîchissants et une énergie scénique toujours explosive font de ce concert un moment de fête, de danse.
Le public est conquis, d’avance (certainement), pendant  (c’est flagrant), et après (nous allons le voir). En effet, des orages redoutés qui nous avaient épargnés jusqu’alors finissent par s’annoncer subrepticement. Quelques gouttes clairsemées d’abord, puis un arrosoir à la pomme légère mais abondante. Enfin le déluge, le vrai, les trombes d’eau qui tombent à l’oblique. Cette intempérie est une occasion unique d’éprouver la motivation des fans, qui persistent, dansent sous la pluie, dans la boue, exaltés par le ruissellement de l’eau sur la peau. En transes sur la rythmique et la foudre, balançant les bras comme des griots africains. Cependant au bout de longues dizaines de minutes, la pluie finira par tout balayer, tout laver et finalement vider complètement les gradins, puis la scène. Nous n’avons manqué que très peu du concert dans son intégralité, quelques morceaux seulement. Donc pas de regrets, les éléments naturels, dans leur grande clémence, nous ont donné un répit certain avec cette pluie nocturne, qui aurait pu s’avérer catastrophique si elle avait été vespérale.
Ah si, un regret tout de même ! Nous n’avons pas pu saluer les artistes, les applaudir pour les remercier à la hauteur de l’énergie qu’ils nous ont transmise. Pour les honorer d’avoir défié les dieux du ciel. Alors profitons de ces quelques lignes pour taper dans nos mains à posteriori et leur envoyer toute notre gratitude. Afrobeat is alive, afrobeat is living !


Willy J.
  Crest 2011




Marcel Azzola’s wonderfull show !




Le monsieur à des mimiques d’enfant réjoui devant des bonbons quand il entame le duo avec Lina Bossati au piano. Je sens par la complicité des regards et des attitudes qu’ils sont de vieux copains. Deux gamins de soixante ans qui se régalent. Quand Sanseverino débarque pour fredonner « Les embouteillages », c’est le choc des générations. Notre feu follet - comme l’appelle affectueusement Lina -mériterais plutôt le qualificatif d’exubérant voir de déjanté. Avant chaque morceau, Marcel nous livre une anecdote. En plus d’un grand musicien, c’est une tranche de la culture accordéonistique que nous écoutons ce soir, où les classiques seront honorés, tels  « Swing Valse » de Gus Viseur ou « Indifférence » de Tony Murena.
Mais la création aussi, comme ce « Songe d’une nuit d’été », un conte épique et romantique sur lequel le piano mélancolique perce une apparente insouciance. Une création splendide.
Nous entamons ensuite une savoureuse séquence d’accordéon; d’abord en solo avec Gérard Luc sur du Gershwin. Puis en trio avec Lionel Suarez et enfin en quatuor avec David Mille sur un morceau écrit par ce dernier, « Ste Catherine ». L’énergie transmise par ces quatre « boites du diable » est indescriptible, le public est submergé par les ondes généreuses que nous procurent ces anches libres à soufflet. Azzola est bavard, généreux, heureux d’être sur scène avec nous.

Puis David Mille reprend seul à l’accordéon, accompagné du grand André Ceccarelli à la batterie, de Sylvain Luc à la guitare et de Diego Imbert à la contrebasse, sur une ballade agrémentée de vocalises subtiles. Mille se ploie et se déploie, se plie et se déplie comme un soufflet, son corps est en osmose avec son instrument. Le mimétisme entre l’homme et l’accordéon en devient troublant.
Enfin le duo Marcel - Lina restitue tout l’esprit de Brel dans un superbe hommage, un pot pourri, une régalade de bonbons multicolores intitulée « de Vesoul aux Marquises ».
Le dernier hommage concerne Tony Murena avec « Indifférence » qui donne toujours autant de frissons. Malgré un Sanseverino qui fait de plus en plus le clown à mesure que la soirée avance. Nous aurons droit en rappel à la « Bluesette » de Toots Thielemans.

C’est une soirée bigarrée que je retiendrai, avec des compositions et des interprétations d’un très bon niveau, qui rappellent à quel point l’accordéon nous manque dans le jazz actuel. Mais c’était aussi un concert décousu, où les musiciens se cherchaient parfois, comme si les enchaînements n’avaient pas été préparés ou que c’était un soir de première. Peut-être Sanseverino avait-il trop d’excitation dans le sang ? Allez savoir.



Willy J.
 Crest 2011




Laurent de Wilde et Otisto 23


 

Laurent de Wilde est certainement très timide. Il a drapé la scène d’un grand voile circulaire où se cacher. Derrière cet abat jour géant, il se réfugie avec son complice Otisto 23 – sans doute un descendant des mythiques Spiral Tribes – pour nous distiller un son qui n’aurait pas fait rougir ces nomades électroniques. De cet alambic poétique surgit en effet des rythmes techno vintage et expérimentaux.
Le processus alchimique débute par une syncope manuelle de quelques mesures sur la table d’harmonie d’un piano devenu djembé. Le sorcier Otisto capture  ce rythme dans sa machine et le fait boucler à l’infini par la magie de quelques logiciels et autres séquenceurs. Il y ajoute des surimpressions sonores, des couches multiples, des nappes successives ou simultanées. Laurent peut alors revenir s’assoir au clavier et débuter une improvisation alterne avec son comparse.
De cette joute musicale va naître une œuvre prométhéenne, nos deux apprentis sorciers ne maîtrisant plus vraiment le cyclone qu’ils ont créé. Tour à tour démoniaque et séduisant, toujours puissant, il s’échappe du cylindre de toile, marmite géante où avaient cru l’enfermer ses créateurs. Afin de catalyser leur Grand  Œuvre, nos Méphistos modernes projettent  sur le baldaquin des vidéos, des images, des peintures, leurs fantasmes, leurs peurs. Ce cylindre devient roue de Faraday. Puis bécher de laboratoire. L’expérience nous confronte à la question de l’intimité et devient parfois dérangeante. Sommes-nous des voyeurs observant deux encagés volontaires qui se livrent à une expérience scientifique ? Sous l’observation de 120 laborantins méticuleux, sagement assis dans les gradins ? Quel distillat émergera de cette transmutation ? Vil plomb ou noble argent ?
Le secret réside dans l’Inspiration du souffle Divin. Qui était invoqué ce soir au travers de dignes passeurs : Georges Bensson, Miles Davis, HighTone, Aphex Twin.
Pour au final nous livrer un bel exemple de symbiose entre maîtrise pianistique - phrasé, touché – et univers des machines - potentiomètres, échantillonneurs. La transformation est réussie, la Materia Prima est sublimée et de morceaux hardcores en compositions dubs, nos deux timoniers auront réussi à nous faire traverser des océans parfois houleux, toujours poétiques, en gardant un cap constant : la ligne tectonique entre électro et jazz.

China Moses


 

La directrice du festival conclut son introduction par ces mots : « Il est plus facile de s’aimer que de se haïr ». C’est bien d’amour dont il sera question ce soir, avec une artiste qui aime autant ses idoles que son public, ses musiciens que son répertoire. China Moses évoque les grandes chanteuses de blues, de jazz avec une sincère admiration et une pincée d’ironie qui sont communicatives. Après avoir consacré le dernier album et quatre ans de tournée entièrement à son égérie, Dinah Washington, la jeune chanteuse et son trio élargissent maintenant aux autres figures des années 1920. Chacune nous est présentée, anecdote à l’appui, coquasse ou coquine. L’occasion aussi de distiller un féminisme moderne et élégant tant la vie de ces femmes reste d’une intacte modernité. Ainsi Bessie Smith avec « Kitchen man », ou Peggy Lee – seule idole blanche de la sélection – avec « Why don’t you do right».

Raphaël Lemonnier au piano et aux arrangements, accompagné de Raphaël Dever à la contrebasse et de Jean-Pierre Derouard à la batterie nous emmènent sur des swings enlevés, dans une osmose parfaite. La formation sillonne les routes depuis longtemps et la complicité musicale est évidente.
Nous enchaînons avec Astair Philips et « Chery Wine ». Suivi d’un immanquable morceau de Dinah Washington, « You’re crying », arrangé à l’époque par un Quincy Jones encore inconnu. La belle Dinah était aussi dénicheuse de talents.
China est volontiers coquine, épinglant les hommes et leurs travers, mais toujours avec une dose de tendresse. Suivront Mamie Smith avec « Crazy Blues », premier tube de la black music. Et encore Nina Simone, Ma Rayney ou le premier single d’Aretta Franklin « Today I sing the blues » qui la propulsa vers la célébrité.

Le public est conquis par ce tour de chant agrémenté des frasques scéniques d’une China qui se révèle une vraie comédienne sur les planches. Difficile donc de ne pas être conquis par ce show musical où la grâce, le talent et l’amour nous sont offerts sur un plateau.




Interview flash de China Moses
Par Willy J


Willy: sur scène nous voyons une femme piquante, qui épingle parfois les homes, mais avec au fond beaucoup de tendresse. Etes-vous la même en dehors de la scène ?
China: il faut demander aux musiciens qui m’accompagnent depuis quatre ans !... Je crois que l’époque est difficile pour les hommes. Et ils ont besoin d’amour, au final c’est l’amour qui compte.
W: vous nous transmettez beaucoup sur l’histoire de ces chanteuses, il ne s’agit pas simplement d’un concert où s’enchainent les morceaux. Est-ce important cette culture du blues et du jazz ?
C: à la base je ne me considère pas comme une chanteuse de jazz, alors quand s’est présentée l’opportunité du projet, j’ai dit d’accord mais avec des musiciens funky, pour que çà bouge. Et aussi pour raconter des histoires. Vous savez aujourd’hui dans le rap ou la pop vous ne voyez pas beaucoup de femmes mises en avant et libres. Par exemple Ma Reinie aimait aussi les femmes et ne s’en cachait pas. Il y avait donc une liberté et une force chez ces femmes des années 20-30 qui peut nous parler à l’époque actuelle.
W: vous aimez faire le show sur scène c’est indéniable, voir faire le clown…
C : oui et j’aimerais renforcer le côté grand show à l’américaine à l’avenir, avec plus de lumières, et je voudrais aussi un serveur sur scène…(rires)
W : prochain disque, prochaines dates ?
C : nous arrangeons en ce moment même de nouveaux morceaux, le disque devrait être prêt pour début 2012. Les dates, d’ici fin juin : Marseilles, Pau, Samois, Orange puis Thionville, Montreal, etc… Va voir sur le myspace tout y est !

pour nos lecteurs :     http://www.myspace.com/20406481

Bastien Brison Trio, talents à suivre !


 
Une première scène à la Clef de voûte il y a un an environ nous faisait découvrir ce trio fraîchement formé. Avec un autre bassiste mais déjà le même batteur – Romain Sarron. Déjà la même complicité entre les deux compères qui se lancent des wizz muets à s’en décrocher la mâchoire à travers la scène, invisibles codes, tempi, majeures, mineures, …. Un peu tendu en début de set, bien que dans une salle de l’IRIS à peine plus grande que la voûte des pentes Croix-Roussiennes.
Cependant le jeu reprend vite la main, les mains, et notre trio s’engage dans une folle interprétation, bondissante et sensible. Le jeu de piano n’est pas sans rappeler Monk, rythmique et limpide, même si la puissance n’est pas encore celle du maître. Mais on ne peut que s’émerveiller du talent de ces bambins du jazz, aux airs faussement adolescents et espiègles à souhait. Ils nous entrainent dans leur ronde joyeuse en gourmands du swing. Ils s’en mettent plein la musette, sans oublier de nous régaler au passage, public heureux au bord de l’apoplexie musicale.

Au répertoire, des reprises comme Minor adjustement de David Hazeltine, Comes Love de Mulgrew Miller, Moment to moment, On slow boat, Good bait,….

Mais aussi des compositions réjouissantes comme Kadia, qui oscille entre mélancolie et romantisme avant de monter le tempo pour aborder un final enthousiasmant, acclamé par la salle. Où encore 97.3 ( les lyonnais branchés sur la FM comprendront ) , très stompy. Mais aussi Bontempi ou Sanders qui nous touchent par leur fluidité et leur rythmique.

Alors quand les revoir ? Réponse dans l’interview flash tout de suite.




Interview flash avec Bastien Brison
par Willy J

Willy : vous affichez une complicité étonnante sur scène, en particulier avec votre batteur, Romain Sarron ?
Bastien : oui, d’ailleurs nous sommes colocataires !
W : et Lyonnais ?
B : oui
W : quelle expérience de la scène ?
B : c’est notre 2eme set, après la Clef de Voûte l’an dernier.
W : Bravo, c’était impressionnant.
B : nous étions trop dans la tension…
W : au début peut-être mais très vite vous êtes entré dans le jeu. D’ailleurs le public était enthousiaste.
W : un projet de discographie ?
B : nous n’avons que 4 ou 5 compositions pour l’instant, donc pas tout de suite.
W : quand pourra-t-on vous revoir sur scène ?
B : le 18 juin au Hot Club et le 8, 9,10 Août au Péristyle de l’Opéra.



Soirée Fort en Jazz – mercredi 15 juin 2011 –  1ere partie

samedi 17 mars 2012

Moutin Brothers

         D’emblée la soirée est placée sous le signe de la convivialité. Les frères Moutin – pardon – les jumeaux amorcent un dialogue avec le public. La gémellité au cœur de leur processus créatif. Le quartet piano, saxo, et les jumeaux donc, François à la contrebasse et Louis à la batterie, nous interprètent un morceau écrit par des compositeurs jumeaux eux aussi, et aux mêmes instruments !  Notre bassiste va chercher les notes au cœur du corps de la contrebasse, recroquevillé sur elle comme un chercheur d’or sur des pépites. Lui extrait des notes. Une fois trouvé le filon, il laisse jaillir la mélodie comme un torrent sauvage. Le batteur est excité comme un ado qui vient d’avoir sa première batterie. Mais sa technique elle, est bien rodée. Carrément hallucinante. Les envolées lyriques du saxe emmènent le quartet vers des sommets de swing et le public en redemande. La salle est archi comble.
Puis nos frérots s’octroient la scène à eux deux pour explorer leur intimité gémellaire.   

D’abord un hommage à Thelonious Monk. La batterie se transforme en djembé. Nous sommes témoin d’une complicité de haute volée qui leur permet d’aborder un swing en suspension, tendu entre les deux rives du morceau. Ils enchaînent sur une course poursuite dans les rues de New York. Puis un morceau au rythme haché où nos musiciens miment des robots saccadés. Rythme qui peu à peu nous rend dément, ce qui n’est que logique puisque nos compères ont déjà basculé dans le délire depuis longtemps. Pour redescendre sur terre, rien de tel qu’un bon solo de piano électrique vintage, lunaire et mélancolique. Puis d’enchaîner sur du Moog au tempo liturgique. Qui à son tour s’ouvre sur une clairière sonore et lumineuse, où le saxe s’installe, batterie et contrebasse en formation  serrée. Décollage romantique et riviera. Vue de première classe sur un coucher de soleil jazzistique, pour une salle devenue un seul homme, qu’enserre à la taille une formation sensuelle et coulante. Le baiser est interminable et délicieux. Une larme de bonheur perle de nos âmes spectatrices. Merci.


Samedi 26 Mars 2011 - salle Charlie Chaplin

UKANDANZ

Trente jeunes choristes de la Maîtrise de la Loire. Leur chef de chœur au pupitre. Un synthétiseur. Un batteur, un saxophone. Une basse et un chanteur. Le plateau de la salle Charlie Chaplin est bien rempli et à vrai dire impressionnant.
Quand le chœur entame une mélodie presque grégorienne, une ambiance religieuse s’installe dans la salle, captivée par la pureté des voix. Entre alors en scène le chanteur Ethiopien Asnaque Guebreyes, qui va impulser un dialogue ondulant entre son chant et celui du chœur. La vigueur et les accents caractéristiques de la musique traditionnelle se mêlent de façon surprenante et à merveille avec l’harmonie du chœur d’enfant, survoltés pour l’occasion. Contrastes et accords de l’Afrique primitive avec la tradition classique. Le saxophone, galvanisé par cette rencontre des genres, emmène son quartet galoper à cheval entre ces deux rives.
Quand le chœur quitte la scène, le set s’installe sur un son jazz-rock. Le morceau « Channel n° 5 » illustre parfaitementl’intégration de la mélopée africaine dans le quartet jazzistique. L’écriture musicale très plastique du quartet de Lionel Martin (au saxo )  épouse les contours du chant éthiopien.
Asnaque nous explique que le but de la musique éthiopienne est d’atteindre la transe. Une transe qui touche à l’énergie de danse, à l’énergie vitale. Plus les morceaux se succèdent, plus on ressent l’aspect primitif et universel de cette musique. La suite ira crescendo, dans un rythme de plus en plus sensuel. Le public ne s’y trompe pas, qui danse et qui saute.  Jump ! Jump ! Jump !




Mercredi 23 Mars 2011 - Salle Charlie Chaplin

Hot Club Cowboys

 
Le patron du club présente les quatre musiciens déjà sur scène et l’on voit d’abord des visages poupons et sérieux, genre gendre idéal. Dimitry Baevski attend poliment la fin du speach, saxo en bandoulière, puis présente ses gars : Joe Cohn, guitare serrée contre lui, salue timidement. Joe Strasser à la batterie et Mathias Allamane à la contrebasse - en costard du dimanche - font leur révérence.

Cependant, dés les premiers sursauts du saxe, on sait que ce n’est pas le quatuor du lycée qui joue pour la remise des diplômes. Mais plutôt le quartet élancé dans l’œil du cyclone. Le souffle précis et flexible, le son gras et perçant nous prend par l’oreille instantanément. Mutine et sautillante, la rythmique de la guitare vous cueille au talon, déjà vous frappez la grosse caisse et hochez du chef. Joe est parti sur son balai magique. Harry Potter du jazz, il essaie de maîtriser son instrument par moult rituels vaudou, roulades aériennes et grimaces convulsées. Jaillit de cette bataille un chapelet de notes en grappes et un accord irréel par sa main droite élastique. Dimitri, pas impressionné, se range sur le côté et attend l’issue du combat. Joe victorieux, la salle emportée, le quartet embraye et continue son road-movie infernal. Un sourire malicieux sur les lèvres, le bassiste pince ses cordes frénétiquement dans une lutte digne de Joe, la taille de l’engin en plus. Le batteur nous livre deux solos à déchirer les pierres de la cave voutée. Le mercure a pris quarante degré, et j’ai tout à coup l’impression d’être assis en deuxième classe sur le siège du milieu d’un avion modèle réduit. J’ai envie de danser. Mon voisin manipule un truc énorme qui ressemble à un appareil photo. Fin du premier set.


Quand Dimitry introduit la deuxième session, le costume n’est pas encore totalement craqué. Nos cowboys New Yorkais ont pris la fuite, mais ils ne sont  pas encore devenus sauvages. Cela ne va pas tarder. A mesure que s’enchaînent les morceaux, une communion harmonique et rythmique s’installe, crescendo. Le quartet devient aérien, fluide, entêtant. On voudrait se brancher ad-vitam sur ce flux d’énergie, ce flux de vie. Les bandidos de la salle qui ont suivi la chevauchée fantastique, pleins de sueur et de sable, en redemandent. C’est au saloon que la suite aura lieu.

Quand ils m’annoncent le nombre impressionnant de dates de leur tournée européenne, qui se termine à Vladivostok, je comprends que ces gars là sont des cowboys pour de vrai. Ils essaient de me faire croire qu’ils carburent à la bière. Mais je comprends vite que c’est plutôt au magnétisme de Marina, leur séduisante impresario. Le batteur m’indique que l’accueil en France est excellent. Les jazzmens - Apaches ou Yankee – nous font toujours rêver et ce n’est pas ce soir qu’on va changer d’avis.

Hasta la Vista in Lyon !


date - Hot Club

Tony Malaby Quartet


Dés les premières notes nous savourons un caviar subtil. Progressivement nous comprenons que nous sommes dans une phase initiatique, dans une alchimie des sons, qui nous fait traverser le mur.
Une fois de l’autre côté du pont, dans le monde merveilleux d’Alice, la fête peut commencer. Nous sommes entre nous, nous nous mettons tout nu et nous dansons dans les herbes folles. Nous sommes envoutés par les solos du saxo, les pincements frénétiques de la contrebasse libertaire. La clarinette, le xylophone diffusent leur substance par jets, par touches subtiles. Nous buvons le calice jusqu’à la lie, dans un délice de Lewis Carol. Nous exultons, en transe.
Le rythme redescend imperceptiblement, plus hypnotique. Le quartet en roue libre nous distille une mélodie sensible, avec une pointe de mélancolie. L’Univers, doucement psychédélique, fait des wizz ! shebam ! blop !
A mesure que le set avance, sans interruption entre les morceaux, sans morceaux clairement identifiés, nous percevons qu’il nous faut l’appréhender dans sa globalité, comme un tout avec un début, une progression et une fin. Comme une expérience totale.
Plus la fin du set approche, plus la substance musicale est entrée dans notre âme, plus nous percevons son effet bénéfique. Comme une décoction de plantes médicinales que nous sentons agir dans nos tissus.
La musique de Tony Malaby fait du bien, en douceur, tout simplement.
Les applaudissements sont nourris et pleins de gratitude. La communion a opéré. Le quartet nous gratifie d’une dernière improvisation pour nous dire au revoir.
Au (plaisir de vous) revoir.


Mercredi 22 mars 2011 - salle Ch. Chaplin

Stars in Saint Paul


Il y a des soirées magiques comme çà.

J’étais parti pour aller voir un film au ciné. Il ne reste plus qu’une personne devant moi à la caisse quand on annonce que la séance est complète. Il est vingt heures, rue de la République. Je pianote sur mon Android et je tombe sur une annonce de soirée Jazz à St Paul. C’est pas très loin de chez moi, mais çà commence à vingt et une heure trente. Sur place, le piano électrique est déjà dressé. Seul. Préfigurant la scène invisible où va s’animer le bœuf.

L’énergie est bonne. Je sirote une Guiness jusqu’à vingt et une heure quinze. Quand soudain un grand gaillard rentre dans le bar, la démarche fluide, la joie profonde sur le visage. Suivi d’un autre plus âgé, suivi du contrebassiste – difficile de se tromper. Sans y prendre garde le trio est déjà installé, la batterie à deux mètres, le piano au fond et la contrebasse qui manque d’éclater trois spots du plafond bas. On a l’impression qu’ils font chauffer les instruments, qu’ils s’accordent, mais en fait non. Subrepticement le jeu s’installe déjà, léger, irrésistible. Comme si de rien n’était. D’ailleurs les conversations n’ont pas cessé dans la salle, les verres trinquent. Mais moi j’ai été capté par cette énergie qui s’échange entre Sangoma et Kirk. Des petits sourires furtifs d’écoliers qui viennent de faire le mur. Et déjà un rythme grandit, aérien, diabolique. Tranquillement il s’amplifie. Les trois compères se laissent guider par le chapelet de notes que les Dieux leur envoient. Alors tout s’emballe. Le morceau de bœuf collé au fond de l’assiette, la moutarde sèche et le gratin déconfit. Car ce que notre âme se voit offrir, c’est le festin en grand, la régalade du cœur et des oreilles, les orteils qui démangent. Nous sommes tous des gamins surexcités qui viennent de faire le mur. Nous sommes de l’autre côté, dans le jardin d’Eden où le temps est suspendu. Les arabesques des pochtrons de service – fous des Rois – jokers enjazzés, ajoutent au surréalisme de la scène. Un incube a pris possession du pianiste. Il est épileptique au ralenti, ses jambes et ses lèvres s’agitent dans un chant hypnotique et muet que seul son phrasé exorcise. Le batteur voit tout et se délecte des affres de son pote. Ensorcelé lui aussi. Un ange passe et repasse et se repaît.

A vingt deux heure trente la pendule ordonne l’arrêt immédiat des festivités. Je rends grâce, je remercie pour cet instant de pure magie. Merci pour le set. Bravo. Bravo. Encore. J’aurais voulu que çà dure éternellement mais je tiens aussi à la santé de Kirk « lilu » Lightsey, déjà soixante-dix balais – de sorcières – au compteur. Une Guiness plus loin, histoire de noyer ma frustration et de célébrer ma gratitude, je suis pris d’une hallucination. Sangoma est assis derrière sa batterie, il prend ses baguettes. Un deuxième set ! Ceux qui ne sont pas partis se considèrent comme les élus. Il y a un destin. Nous l’accomplissons, tempo débridé, danse, hanche, swing ! Les mots s’effacent. Le temps que dure la communion.

Sangoma absout « lilu » et délivre Kirk dégoulinant de sueur, épuisé, vidé. Merci. Les mains caleuses et chaudes encore des baguettes. L’accolade cœur à cœur, enfin délivré du piano. « what is the sense of living if you don’t live your life ? » Tu as raison je t’offre un verre. “What would you like to drink ? ” Garçon, une vodka pour Kirk chéri. Un jeune batteur émerveillé qui fut du trip lui adresse hypnotiquement “et Chet Baker aussi t’as joué avec ? » «  yes I played with him – et Dexter Gordon ? – yes I played with him – et Al Jarreau ? – yes – et Lateef ? – yes, yes – and – yes – and so on and so on. L’admiration et la gratitude. Et la vodka. Et les petites femmes. Pianoter sur leur corps. “ This is the real thing !”. Quelques vodkas plus loin, la pendule a abdiqué. Jazzmen un – temps zéro. On peut rentrer maintenant, contents d’avoir gagné le match. Le plein de bonheur pour un bail. Hurry up Kirk, the cab is getting away !

Les étoiles n’ont jamais été aussi brillantes.


25 février 2011 - Apostrophe Café

ROCK A VAULX


NICKEL PRESSING

Lauréat du tremplin Musiques Actuelles du festival, ce groupe envoie du lourd ! Une rythmique carrée, un son franchement électro aux inflexions new wave.
Quelques délires scéniques déjantés dans la lignée du live à Pompéï des Pink Floyd. Le tout emballé dans l’énergie explosive du bourgeon qui éclot. Le violon – qui remplace parfois le clavier maître pour envoyer les séquences midi - se retrouve balancé, trituré, au point qu’il ne restera que peu de crins à l’archer en fin de session.  La touffe rageusement libérée s’est envolée dans le vent vert des projecteurs.

Les jazzmens orthodoxes ne gouteront peut-être pas ce son là. Les enchaînements sont certes encore chaotiques et la cohérence reste à trouver. Mais gardons un œil sur cette cuvée qui donne envie de danser, ce qui est un excellent début.


THE CHAP

Le violon était de sortie ce soir puisque le groupe qui enchaîne utilise lui aussi cet instrument comme surface de contrôle. La délicatesse qui lui sied habituellement  n’est toujours pas au rendez-vous et les crins vont souffrir plus encore. Tout comme ceux qui frottent, tapent et arrachent les cordes du  violoncelle, dans un solo presque bruitiste, au-delà du free et du contemporain. Le batteur leader chanteur - barbu à la ZZ-top - livre un show bovin, abusant du vocoder pour prendre une voix d’outre-tombe réjouissante, aux accents metal. Un gamin de huit ans assis dans les gradins fait des bonds de trente centimètres sur son siège, au désarroi de sa mère et du voisin, qui oscille comme une tige de bambou sur une machine à l’essorage. C’est un signe qui ne trompe pas, le groupe balance bien ( et le petit fera du rock ).

Du gros son donc, inventif et abouti. Quand le set s’arrête on en re-demande !



JAMES CHANCE & the Contorsions

Attention vétéran de la scène droit devant !
Dégaine à la Bryan Ferry, veste blanche et houpette façon Elvis, esquisse de rumba dans le fil du micro : la présence scénique est indéniable. Fort de sa charismatique soixantaine, il entraine ses Contorsions (batterie, guitare, basse) dans des compositions écrites au millimètre et dirigées au doigt et à l’œil. Le résultat est là : une création léchée et excitante. Piano électrique, paroles qui triquent et rythmes hypnotiques, pour un son qui n’est pas sans rappeler le meilleurs des Doors. Mais il devient réellement le boss quand il enfourche son saxo. Ses envolées bien senties nous rappellent que nous sommes face à un musicien chevronné, poète rebelle du jazz, qui a réjouit ce soir encore son public d’afficionados, venu se trémousser en masse devant le King no wave et sans reproche.




Samedi 19 Mars 2011 - Salle Charlie Chaplin