Le
jeune homme d’une soixantaine d’années s’installe posément sur la chaise de la
grande scène viennoise, inhabituellement vide. Seulement complétée du piano de
Chick Corea. Et de l’habituel verre d’eau. Tout en intériorité, Bobby Mc Ferrin
paraît être un bruiteur de film, un bruiteur dans son film. Sa cage thoracique
devient caisse de résonance, sa main une baguette subtile pour la frapper.
C’est la première fois que je le vois sur scène et je comprends sa réputation
d’homme instrument sans instruments. « The voice », son album de 1984
était le premier album solo de jazz vocal sans accompagnement. Avant lui, il
était inconcevable que la voix s’explora dans d’aussi multiples dimensions.
D’où vient la voix ? Langue, larynx, palais ? Cordes vocales ?
De poitrine, de tête ? Ce que nous montre ce soir cet artiste, c’est
qu’elle est avant tout une résonance du cœur. Partant, elle devient libre et
aucune facéties ne lui est étrangère. Espiègle, agile : tel est le sourire
de Bobby quand il chante. Quand il chante pour nous. C’est un cadeau subtil, un
don qu’il nous faut recueillir délicatement dans un calme intérieur. Tout juste
troublé par les soubresauts légers de la joie que nous procure les onomatopées
et les syncopes de l’oiseau lyre.
Chick
Corea joue le jeu, pianissimo, prenant soin des cordes de son voisin autant que
de celles de son piano. Notre vieux sorcier vocalisant atteint une telle
fluidité avec son djembé de poitrine qu’il s’en passera à peine durant tout le
set. Chaque morceau explore un voyage différent. Ici les steppes africaines et
la course du guépard fondant sur la gazelle, rythmée par les tambours bantus.
Là une forêt tropicale peuplée d’animaux étranges et fascinants.
Si
Bobby a d’abord calmé les ardeurs d’une partie du public qui clapait à
contre-temps, il s’est ensuite révélé un parfait chef de choeur pour la chorale
des 8000 chanteurs du théâtre antique. Sur le morceau suivant, il fait le
pitre, pastichant la voix de crooner avant d’aller babiller comme un nourrisson
à deux centimètres de la caméra de scène. Ou encore de jouer la troisième main
sur le clavier de son copain pianiste et même faire chanter le caméraman !
Cet
homme est capable de passer de la légèreté la plus naïve à la profondeur la
plus émouvante. Il sait créer une tension mélodique et rythmique qu’il pousse à
son paroxysme pour enfin nous libérer in extremis, relâchant nos tensions,
soulageant notre corps comme notre âme. En digne chaman vocal toujours adepte
de la gamme pentatonique, qui donne cette couleur Japonisante à certains de ces
morceaux.
Pour
le rappel nous avons le privilège d’assister à une immense master-class de
scat. Tout le théâtre reprend en cœur les propositions mélodiques et phoniques
du maître. Toutes les couleurs, toutes les tessitures y passeront, du burlesque
sergent Garcia à la fluette vierge diaphane, en passant par le klaxon ou le
ténor. Ce qui pourrait passer pour une performance marqueterie devient dans sa
bouche un pur moment de poésie.
Thank you Mister Mc Ferrin !
Willy J - Samedi 29 juin 2012 - théâtre antique
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