vendredi 13 juillet 2012

Duo de cordes

Bobby Mc Ferrin & Chick Corea



Le jeune homme d’une soixantaine d’années s’installe posément sur la chaise de la grande scène viennoise, inhabituellement vide. Seulement complétée du piano de Chick Corea. Et de l’habituel verre d’eau. Tout en intériorité, Bobby Mc Ferrin paraît être un bruiteur de film, un bruiteur dans son film. Sa cage thoracique devient caisse de résonance, sa main une baguette subtile pour la frapper. C’est la première fois que je le vois sur scène et je comprends sa réputation d’homme instrument sans instruments. « The voice », son album de 1984 était le premier album solo de jazz vocal sans accompagnement. Avant lui, il était inconcevable que la voix s’explora dans d’aussi multiples dimensions. D’où vient la voix ? Langue, larynx, palais ? Cordes vocales ? De poitrine, de tête ? Ce que nous montre ce soir cet artiste, c’est qu’elle est avant tout une résonance du cœur. Partant, elle devient libre et aucune facéties ne lui est étrangère. Espiègle, agile : tel est le sourire de Bobby quand il chante. Quand il chante pour nous. C’est un cadeau subtil, un don qu’il nous faut recueillir délicatement dans un calme intérieur. Tout juste troublé par les soubresauts légers de la joie que nous procure les onomatopées et les syncopes de l’oiseau lyre.

Chick Corea joue le jeu, pianissimo, prenant soin des cordes de son voisin autant que de celles de son piano. Notre vieux sorcier vocalisant atteint une telle fluidité avec son djembé de poitrine qu’il s’en passera à peine durant tout le set. Chaque morceau explore un voyage différent. Ici les steppes africaines et la course du guépard fondant sur la gazelle, rythmée par les tambours bantus. Là une forêt tropicale peuplée d’animaux étranges et fascinants.

Si Bobby a d’abord calmé les ardeurs d’une partie du public qui clapait à contre-temps, il s’est ensuite révélé un parfait chef de choeur pour la chorale des 8000 chanteurs du théâtre antique. Sur le morceau suivant, il fait le pitre, pastichant la voix de crooner avant d’aller babiller comme un nourrisson à deux centimètres de la caméra de scène. Ou encore de jouer la troisième main sur le clavier de son copain pianiste et même faire chanter le caméraman !

Cet homme est capable de passer de la légèreté la plus naïve à la profondeur la plus émouvante. Il sait créer une tension mélodique et rythmique qu’il pousse à son paroxysme pour enfin nous libérer in extremis, relâchant nos tensions, soulageant notre corps comme notre âme. En digne chaman vocal toujours adepte de la gamme pentatonique, qui donne cette couleur Japonisante à certains de ces morceaux.

Pour le rappel nous avons le privilège d’assister à une immense master-class de scat. Tout le théâtre reprend en cœur les propositions mélodiques et phoniques du maître. Toutes les couleurs, toutes les tessitures y passeront, du burlesque sergent Garcia à la fluette vierge diaphane, en passant par le klaxon ou le ténor. Ce qui pourrait passer pour une performance marqueterie devient dans sa bouche un pur moment de poésie.

Thank you Mister Mc Ferrin !


Willy J - Samedi 29 juin 2012 - théâtre antique

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