Robert Glasper Experiment puis Erikah Badu

Le public jeune et branché
présent hier soir connaissait certainement déjà le son de Robert Glasper sans
avoir forcément mémorisé son nom. Cet authentique pianiste de jazz issu du
sérail n’a en effet pas hésité à explorer les contrées du hip hop et de la soul
: il fut sideman de groupes tels que Bilal, Mos Def ou The Roots. C’est dans sa
propre formation qu’on le retrouve ce soir, telle que nous l’avions appréciée
sous le chapiteau du Jazz Mix l’an dernier. Si le répertoire est différent,
l’énergie mise en jeu l’est aussi. Alors que nous nous étions régalé des
excentricités de Casey Benjamin et des envolées électro-lyriques d’une cuvée
grand Glasper, nous avons droit ce soir au vin de table ordinaire. Est-ce le
trac de la grande scène du théâtre antique, la pression de jouer avant une star
soul sur-médiatisée ? Toujours est-il qu’avec le même vocoder, les mêmes
distorsions et certainement la même sincérité, le résultat est pourtant très
différent. Les compositions restent bien léchées, les arrangements absolument
précis. Le talent du maître – inspiré par Monk – est bien présent en backstage.
Mais seulement en backstage et c’est dommage. C’est une occasion manquée de
faire découvrir un hip hop de grande tenue, issu d’une filiation jazz pure
souche, à un public qui n’y serait peut-être pas venu naturellement.
La deuxième partie s’annonce
immédiatement plus conséquente comme en témoigne la pléthore de techniciens qui
installent la non moins pléthorique quantité d’instruments. Après une attente
fébrile d’un public visiblement venu pour ce second concert, la jeune diva soul
Erykah Badu apparaît drapée dans une grande djellaba blanche qui lui fait
capter toute la lumière du théatre, la focalise pour mieux la réfléchir, à
l’image de la lune qui se dévoile simultanément à l’aplomb des gradins. Telle
une prêtresse rompue aux attentes de ses fidèles, elle déambule lentement avec
un charisme bien huilé. Bras levés de la déesse, bras levés dans la fosse,
groove instantané. On ne peut nier une présence scénique intuitive, un aplomb
impressionnant. Côté son, cela envoie du lourd également. La régie du festival
s’est certainement faite liver une nouvelle sono, tant les infrabasses nous
traversent les côtes. Du jamais vu au théâtre antique.
Une surface de contrôle à
main gauche, le Macintosh à main droite, la chanteuse envoie ses effets, module
les potentiomètres biométriques et envoûte ses fans à coup de scat, de sa voix
profonde et rocailleuse. Elle électrise d’ailleurs tout autant ses musiciens,
en réelle chef d’orchestre, avant de s’octroyer un solo de djembé électronique
à l’instinct. La flûte traversière vient aérer ce gros son, très carré, très
écrit. Mais dont on sent à mesure du set que l’interprétation devient
flottante. Dans son homélie, la jeune artiste nous assure « qu’elle chante
parce qu’elle se sent mieux quand elle chante. Et qu’elle a la conviction que
si elle se sent mieux, les autres se sentiront mieux autour d’elle ». Une bien
belle philosophie qui nous émeut. Elle pousse même la générosité jusqu’à
présenter des créations hip hop indépendantes de son batteur et nous en faire
écouter quelques extraits. Et puis les douze coups de minuit sonnent. Pas à la
cathédrale de Vienne, mais sur l’ordinateur qu’un membre du crew porte ostensiblement.
La durée du chronomètre-minuteur au millième de seconde vient de s’achever.
J’avais un doute sur l’utilité de cet écran pas même caché du public. J’eu un
affreux pressentiment quand j’ai vu les musiciens meubler, faire tourner les
grilles comme pour allonger le morceau. Parce qu’ils étaient sans doute en
avance sur le chrono. Sur la durée prévue au contrat. Ne pas prendre le risque
de finir avant, le festival pourrait réclamer son dû. Mais en contrepartie, ne
pas jouer une minute de plus. Ce serait de l’argent perdu, en tout cas pas
gagné. Cela explique certainement pourquoi, pour la première fois de ma vie,
j’ai vu un public conquis et enthousiaste se voir refuser un rappel. Malgré
toute son insistance et son empathie. C’est alors que j’ai compris que venait
de se dérouler sous nos yeux un grand jeu de dupes.
Voilà qui devrait mettre fin
à la dispute qui opposait les tenants de l’artistique à ceux du commercial dans
le dénudage de la pouliche des studios Universal sur l’avenue Elm Street de Dallas.
Pas classe !
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